« La terre, j’aime me noyer dedans ». L’ambivalence des œuvres de Lili Delaroque demeure là. Des œuvres en terre qui évoquent mer. « La terre, c’est le début de l’histoire », ajoute l’artiste, pour qui cette « rencontre forte avec la matière » est vécue comme « un lâcher prise et une présence au monde sans pareil ». Car la quintessence de la céramique repose dans ce retour à l’origine, à la nature, à l’enfance, donc au passé. Un retour à un savoir-faire ancestral, un hommage à l’artisanat, « au bel objet qui ne meurt jamais ».
De ce paysage tumultueux se dégage bien souvent un sentiment océanique fait de sérénité et de plénitude. « Je veux que mes installations prennent place dans des lieux pour apporter un sentiment de calme, de sérénité. J’aime cette idée des objets délicats, qui figent le temps, et qui apaisent. »
Si le rapport à la nature est sans équivoque dans ses œuvres, Lili Delaroque le transcende en y apportant un raffinement et une spiritualité inspirés de la culture japonaise. Artiste protéiforme, passée par la photographie, le cinéma, la peinture, Lili Delaroque semble avoir trouvé sa voie, celle d’un art « éloigné du brouhaha du monde et de son angoissante modernité ». Celle d’un art où les œuvres constituent « une invitation au vrai voyage, celui qui est intérieur, onirique et marin ».
Dans la terre, seules ses mains plongent, mais tout son être se noie. La pêche est souvent bonne. Car Lili Delaroque remonte dans ses filets des perles par milliers. Pâles ou brunes, couleur de sable ou d’algue, ces corolles mates en céramique semblent venues du fond des mers. Chacune a sa forme fragile, ses courbes lisses, comme polies par le ressac, parfaitement imparfaites. Lili Delaroque accueille l’accident : vivante, sa matière première lui tient tête, docile quand elle est zen, rebelle quand son esprit s’égare, que ses gestes se font gauches. Aussi veille-t-elle à garder l’équilibre, cette paix intérieure sans laquelle rien n’arrive. Elle qui voue un culte au Japon, une passion ancienne jamais passée, dit “honorer” l’argile qu’elle regarde monter, sécher, avant de l’enfiler sur des ficelles de chanvre, du métal rouillé, de vieux lins, toutes sortes d’objets trouvés, naturels et pauvres. Ainsi de cette corde nippone rayée de grès beige et bleu cobalt, entortillée au mur comme la mue d’un serpent. Ou de ce Noren bricolé avec des coussins fatigués, “galettes” soufflées à la palette crème reliées les unes aux autres par des “plus”, croix profanes cousues à intervalle régulier. Nasses ou colliers, ces antiquités cultivent l’art de la main, un art insulaire, nourricier, celui des origines. Et invitent au voyage immobile, souvenirs d’un quelconque rite, avant-goûts d’un possible départ.
Virginie Huet