Après des études de théâtre et de littérature à New York, Charlotte se tourne vers la photographie. Ses premières images révèlent tout de suite une sensibilité pour le noir et blanc et questionnent notre rapport au temps et à la mémoire.
La photographie est souvent le point de départ de ses explorations. Elle l’utilise comme matériau et support dans un travail de reconstruction visuelle. Découpées, recomposées, fragmentées, rassemblées, ré-interprétées, ici la photographie est une matière à retravailler, sans cesse.
La fragmentation des images est ancrée dans sa démarche artistique et a prit des formes différentes au fil des années ; collages, empreintes, installations photographiques, vidéos, dessins… C’est avant tout la mise en scène des images qui l’anime et avec elle les possibilités infinies d'inventer de nouveaux récits.
"Pour cette série, Solastalgie, l’artiste s’est installée dans la forêt de Fontainebleau. Ce déplacement n’est pas rien. La jeune femme a choisi en effet de rejoindre la forêt des artistes. C’est là qu’avec les peintres comme Théodore Rousseau ou Jean François Millet, sont venus les « primitifs » de la photographie, comme Gustave le Gray ou Eugène Cuvelier. Cette forêt, matrice des arts, est un défi pour une jeune artiste et photographe contemporaine.
Comment entrer dans ce musée « grandeur nature » et se mesurer à ces regards célèbres qui ont façonné nos manières de voir et même de concevoir l’arbre ? Avec les arbres de cette série, à travers la grille orthogonale qui paraît multiplier les points de vue, Charlotte Bovy reprend le sujet à zéro, en prenant en quelque sorte les mesures de ces monstres de la forêt de Fontainebleau. Beaux et énigmatiques, comme les « cartons » d’un merveilleux vitrail en noir et blanc, ils rayonnent d’une puissance propre, soulignée par cette résille qui se surimpose à eux, à la manière de la technique d’agrandissement inventée à la Renaissance, du « report » d’un dessin sur des carreaux. Est-ce une manière de suggérer la grandeur symbolique de ces arbres que de les soumettre ainsi à une promesse d’agrandissement perpétuel ? ou bien est-ce une manière de circonvenir, à travers un filtre géométrique, le chaos de leurs formes folles ? Y-aurait-il aussi dans cet artifice plastique, un jeu entre photographie et dessin ? Les arbres de Charlotte Bovy, dans leur noir et blanc, leurs contours et leurs surfaces, constituent en effet une zone indécise entre dessin et photographie. Peut-être rappellent-ils la rivalité entre l’un et l’autre art, au XIXe siècle justement, pour la représentation de cette forêt. Fusionnant la matière de l’arbre et celle de l’image, le carton, matériau pauvre dérivé du bois, l’artiste incarne cette « solastalgie », désarroi propre à l’anthropocène, conceptualisé par le philosophe australien, Glenn Albrecht. Face à l’inéluctabilité des changements qui menacent, les arbres de Charlotte Bovy offriraient-ils donc alors ce « réconfort » (solace en anglais) dont nous avons tant le regret ?"
Thierry Grillet
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"Des pins parasols menacés, une forêt ensevelie sous la neige, le fantôme de naufragés... La disparition, arrivée ou imminente, est au cœur des images noires et blanches de Charlotte Bovy. Elles ne parlent que de mémoire et d’oubli, d’hommes et de lieux. De la colline du Pincio à la Death Valley, des plages de Sesimbra aux sommets des Pyrénées, elles dévalent et remontent la pente du souvenir, gardiennes d’une histoire ancienne et sans fin dont les morceaux recollés, à la main ou à la machine, brodent en différé un récit neuf. Les heures, les angles changent. Mais l’émoi demeure dans ces portraits sans visage, toujours en bande ou à deux, jamais célibataires. C’est que l’écume des vagues mime celle des jours, et que les arbres, pour sûr, nous survivront. Aussi Charlotte Bovy fragmente-t-elle le paysage, personnage récurrent, dressé devant ses yeux ouverts là où d’autres se sont clos. Ces parties d’un tout immuable consolent d’une perte immense. "