Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely, Frida Kahlo et Diego Riviera, Auguste Rodin et Camille Claudel, Patti Smith et Robert Mapplethorpe… Peintres, sculpteurs, photographes ou compositeurs, la liste des couples d’artistes est longue. Ces duos créatifs furent souvent fructueux et parfois tumultueux, mais aucun n’explora les limites des jeux amoureux avec autant de profondeur que Marina Abramović et Ulay. Le couple se rencontre le 30 novembre 1976, date de naissance qu’ils partageaient, à Amsterdam. La connexion est immédiate, évidente, ils leur semblent qu’ils retrouvent une partie d’eux-mêmes, une symbiose se crée et ils ne se quittent plus. Ils passent les années qui suivent à parcourir l’Europe dans une vieille camionnette Citroën, totalement libres de s’aimer et de créer.
Pendant douze ans, ce couple qui se considérait comme “un corps à deux têtes”, illustrent l’amour qu’ils se portent l’un pour l’autre en interrogeant les limites de leurs corps au travers de performances artistiques extrêmes et conceptuelles, frôlant parfois le sado-masochisme. En 1976, ils se mettent en scène dans une première performance intitulée Breathing in/Breathing out, dans laquelle ils collent leurs bouches l’une contre l’autre jusqu’à ne plus échanger que du dioxyde de carbone. En 1977, Light/Dark les plaçaient en face à face, s’échangeant gifle sur gifle. Présentée en 1980, The Other: Rest Energy mettait leurs deux corps en tension : Ulay tenait un arc dont la flèche pointait vers le cœur de Marina Abramović tandis qu’un micro enregistrait les battements de leur cœur. Exercice “d’ultime confiance” selon cette dernière.
Puis en 1988, chacun d’eux commence à marcher depuis un bout opposé de la Grande Muraille de Chine, lieu symbolique où ils prévoyaient de se marier. Au bout de 90 jours et plus de 5 995 kilomètres de marche, Ulay et Marina se retrouvent. Ulay lui annoncent que sa traductrice attend son enfant, Marina lui dit qu’il devrait l’épouser. Ils s’enlacent, puis se quittent. Le couple se sépare comme il a existé, en créant. Cette dernière performance symbolisant l’adieu au bout du chemin passé ensemble, mais aussi le point de départ de nouveaux chemins séparés. Le début de nouvelles expériences.
En 2010, Marina Abramović est au coeur d’une importante rétrospective que lui consacre le MoMa à New York. C’est l’occasion pour elle d’imaginer et de créer une nouvelle performance solitaire intitulée The Artist is present. Immobile, assise à une table et Marina Abramović invite le public à s'asseoir face à elle et à soutenir son regard. L’artiste reste assise 736 heures et 30 minutes, un exploit d’endurance physique et mentale. Voyant passer devant elle près de 750 000 personnes, elle demeure impassible tout au long de la performance, jusqu’à ce que son grand amour de jeunesse, Ulay, qu’elle n’a pas vu depuis plus de vingt ans, prenne place face à elle… En pleurs mais obligés de garder le silence, ils ne peuvent s’empêcher de se rapprocher pour se tenir les mains, mettant quelques instants la performance de côté. Un moment d’émotion intense, où l’imprévu de la vie prend le dessus sur la performance artistique. Peut-être l’un des instants les plus émouvants de l’histoire de l’art contemporain et conceptuel. Voici la vidéo, on vous laisse juger par vous-mêmes :