Entre le 20 février et le 18 mars 1991, vingt-quatre "billboards", ces immenses panneaux publicitaires new-yorkais, furent monopolisés par l'artiste américain d'origine cubaine Felix Gonzales-Torres. Dans les rues de Manhattan, de Brooklyn ou du Queens, ces gigantesques toiles commerciales accueillirent une même énigmatique photo en noir et blanc représentant un lit vide où l'on apercevait encore les traces de corps tout juste disparus. Draps froissés, empreintes de têtes sur les deux oreillers, l'image souligne à la fois la présence et l'absence d'un couple. Mais les new-yorkais sont perplexes. Quelle est donc cette nouvelle publicité que l'on découvre à tous les coins de rues ? Aucun logo, aucun slogan, aucun texte explicatif ou revendicatif… Dans ce pays où la société de consommation est reine, où tout se vend, où tout s'achète et où rien n'est gratuit, cette publicité sans fond intrigue.
Felix Gonzalez Torres et Ross Laycock, Jones Beach, New York
Mais loin d'être à visée commerciale cette campagne d'affichage est en réalité une performance artistique à grande échelle.
Felix Gonzalez-Torres qui vient de perdre son amant et partenaire de vie des suites du Sida cherche à sensibiliser ses concitoyens américains. Dans ce début des années 90 la crise du VIH est à son paroxysme, tuant silencieusement des millions de personnes à travers le monde et ravagent la communauté homosexuelle. À travers la photographie de ce lit qu'il partageait avec son compagnon Ross, Gonzalez-Torres nous propose une représentation allégorique de cette maladie. Le lit est à la fois un poignant symbole de la vie de couple et du bonheur partagé mais aussi le rappel du vide laissé par la mort de Ross. Il montre la rapidité avec laquelle le Sida emporte ses victimes et la solitude dans laquelle se retrouvent ses survivants.
Une lettre de Felix Gonzalez-Torres à son amant Ross Laycock
Ce memento mori moderne pointe intelligemment du doigt l'innommable virus ignorée par les autorités de l'époque. Un acte à la fois artistique et politique, motivé par l'urgence et perte de l'être aimé auquel il rend un si bel hommage résumant en un cliché l'essence de nos existences : vivre, aimer puis mourir.