Une balade avec Anselm Kiefer

J’avais déjà entendu ce nom aux accents germaniques, comme tiré d’un conte pour enfants effrayant, au détour d’une conversation, en lisant un article ou en scrollant sur lnstagram. Mais jamais je n’avais été confronté au travail d’Anselm Kiefer “in real life” avant son exposition intitulée Transition from Cool to Warm à New York. On compte chacun sur les doigts d’une main ces “shows” qui bouleversent et qui même, parfois, changent quelque chose au plus profond de nous. Je me souviens avec précision de la rétrospective de Jean-Michel Basquiat au Musée d’Art moderne de Paris en 2009, des vidéos de Bill Viola au Grand Palais, de la ma première visite à la Dia:Beacon Foundation, des gigantesques photos d’Andreas Gursky… Et puis, il y eut Anselm Kiefer chez Gagosian en 2017.

 

Comme la plupart des jeudis lorsque je vivais à New York, je me baladais à Chelsea, ce quartier de l’ouest de Manhattan que les plus grands noms du monde de l’art ont investi au fil des dernières années. Contrairement au reste de la ville, ce quartier est relativement calme. Souvent, on se retrouve seuls dans les galeries, profitant, un tout petit instant, de ce luxe ultime qu’est le silence, dans une ville aussi énergique et vibrante que New York. C’est donc un peu par hasard que je pousse la porte de l’immense espace de la galerie Gagosian et pénètre dans l’univers fantasmagorique d’Anselm Kiefer. Plusieurs salles monumentales s'enchaînent et révèlent aquarelles, livres de plomb, toiles composites… L’artiste-auteur qui est également philosophe et historien à ses heures, nous emmène avec lui dans les pérégrinations de son esprit où beauté et souffrance se mêlent sur les thèmes mythologiques de la ruine, de la destruction, de l’érotisme et de la fin de l’amour.

 

 

Les œuvres de Kiefer sont si pleines de symboles, de messages, d’histoires, qu’il est parfois ardu de démêler ses propres émotions de celles de “l’auteur”, imprégnées entre les couches et coups de pinceaux. Hormis les aquarelles, ode élégante et colorée à la féminité, je fus particulièrement touchée par une salle dédiée à de gigantesques livres de plomb, peints dans une texture imitant le marbre. Ces atlas de l’amour, protégés dans des vitrines de verre, étaient recouverts de corps en mouvement et d’inscriptions étranges. Les références ici sont infinies, on pense à Rodin, Picasso, à la mythologie grec, à des trésors archéologiques d’un autre millénaire. Mais malgré une certaine gravité des sujets abordés, les couleurs ainsi que la douceur des matières utilisées suggèrent plutôt un retour vers la lumière. Kiefer, après des années d’obscurité, fait, enfin, cette transition “from cold to warm”, vers une construction, des fondements, un nouveau départ.

 

 

Cette exposition j’y suis retournée souvent, apercevant à chaque nouvelle visite, un détail, une métaphore, une allégorie nouvelle. Aussi, je suggère à ceux qui n’ont jamais vu le travail d’Anselm Kiefer en vrai, de courir au Bourget, où l’artiste allemand expose ses dernières œuvres chez Gagosian. Sujet de notre prochaine balade.