Paris 1888, le jeune Pierre Bonnard suit des leçons de peinture à l’Académie Julian tout en continuant, parallèlement, ses études de droit dans le but de devenir avocat. Mais cette petite vie bien rangée et organisée va être bouleversée par plusieurs rencontres. Ker-Xavier Roussel et Édouard Vuillard, jeunes peintres symbolistes épris de spiritualité et d’ésotérisme, vont chambouler le quotidien de notre apprenti avocat À leurs côtés Bonnard trouve des alter egos partageant sa vision de l’art et de la création, ensemble ils souhaitent prôner un renouveau esthétique en rupture avec l’impressionnisme et basé sur le retour à l’imaginaire et à la subjectivité. C’est ainsi que naît le mouvement des Nabis (“prophètes” en Hébreu).
Influencés par les estampes japonaises, l’art médiéval et surtout par Paul Gauguin, en qui ils perçoivent une sorte de messie, les Nabis jouent avec des couleurs franches et instinctives, des lignes expressives, des motifs texturés rappelant des imprimés colorés. Les Nabis refutent toutes notions de perspective et, se ralient à Maurice Denis qui énonce, en 1890, « qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Le peintre redevient alors le seul maître de son œuvre et les Nabis incitent leurs camarades à suivre leur instinct plutôt qu’à représenter le réel et la nature.
Davantage animé par les portraits et les intérieurs, Pierre Bonnard s’impose comme « Le Nabi très japonard » pour reprendre ce surnom trouvé par ses camarades. L’artiste revendique avec foi ce droit de l’art à être décoratif, idée que l’on partage et que l’on cultive aussi. Détruisant les frontières entre Beaux-Arts et arts appliqués Bonnard souhaite introduire le Beau dans le quotidien de chacun. Peintures, dessins, estampes, illustrations de recueil ou objets d’art, Bonnard recouvre tout ce qui l’entoure de lignes ondulantes et de motifs souples, dans un ruissellement de couleurs suaves et poétiques. Au Nabi très japonard qui disait : « J’espère que ma peinture tiendra, sans craquelures. Je voudrais arriver devant les jeunes peintres de l’an 2000 avec des ailes de papillon. », on aimerait murmurer que oui, ses belles toiles ont su voler jusqu’à nous, transportant d’un autre temps couleurs, lumières et joies.