Après dix-huit mois d’endormissement, d’isolement et de repli sur soi, Paris, à l’image du monde, s’éveille enfin. Musées, expositions, foires et autres événements culturels fleurissent à chaque carrefour de la capitale, faisant éclore l’espoir d’un avenir meilleur, d’un avenir créatif, résilient et empli d’une infinie soif de vivre. Apothéose triomphant de ce retour à la vie artistique, l'installation posthume si attendue, mille fois repoussée, de Christo et Jeanne-Claude est aujourd’hui inaugurée sur l’un des monuments les plus emblématiques de la ville.
L’Arc de triomphe de la capitale française, ce symbole de victoire et de liberté, est, jusqu’au 3 octobre, empaqueté de gigantesques toiles de tissus et de longues cordes. Durant les deux prochaines semaines, l'œuvre monumentale sera visible de tous et poursuivra ainsi le dessein du couple d’artistes, soucieux d’offrir leurs installations au plus grand nombre et de redéfinir les frontières de l’art.
En 1961, trois ans après s'être rencontrés à Paris, Christo et Jeanne-Claude commencent à concevoir des œuvres temporaires dans l'espace public. L'un de leurs plus grands rêves et projets : empaqueter un édifice public. À son arrivée à Paris, Christo loue une chambre de bonne à proximité de l'Arc de triomphe et le monument ne cessera de l'attirer depuis. Soixante ans après son premier croquis du monument historique, trente-six ans après l’empaquetage du Pont-Neuf, vingt-six ans après celui du parlement allemand, le Reichstag, le rêve du couple iconique se voit enfin exaucé. Jusqu’à sa mort en mai 2020, Christo avait continué à travailler sans relâche sur ce projet. Malheureusement l’enveloppement de l’édifice de la place de l’Étoile arrive après le décès du duo hors norme, mais quel plus bel hommage de la part de Paris que de perpétuer leur vision et leur art au-delà de leur disparition ?
Alors que l’esthétique des emballages à haut gaspillage fait débat dans la sphère publique Sophie Duplaix, conservatrice en chef des collections contemporaines au Centre Pompidou, rappelle : “Christo et Jeanne-Claude voulaient que l’on n’oublie jamais qu’ils faisaient un geste avant tout artistique. Un geste qui consistait à mettre en valeur les volumes d’un monument et à s’attaquer à cette échelle monumentale qui fascinait Christo. Il était capable, avec Jeanne-Claude, de s’y confronter jusqu’au bout et d’arriver à ses fins. Cette dimension vraiment esthétique, purement artistique, est ce que Christo et Jeanne-Claude voulaient transmettre. Ils voulaient donner à voir quelque chose qui soit de l'ordre de la beauté. C'est vraiment le mot qu'ils employaient et qui n'était pas un terme galvaudé dans leurs bouches. Quelque chose qui était dédié à la joie et à la beauté, et de très immédiat et très spectaculaire qu’ils offraient gratuitement à un public qui allait regarder différemment le monument parce qu’il était empaqueté.”
Ce témoignage rappelle que l’art doit parfois ne pas être sur-interprété, qu’il suffit parfois d’être regardé, apprécié, et que la beauté peut aussi, de temps en temps, se suffire à elle-même. Apprécions cet émouvant héritage que ces artistes monumentaux nous ont laissé et rendons hommage à leur incroyable volonté et détermination, qui leur permirent d’aller au bout de leur projet, au-delà du dernier souffle.