Après un week-end rythmé par les alertes du Monde et les mines fatiguées des présentateurs de BFMTV, il nous semblait obsolète et déplacé de parler d’autre chose que de l’offensive sanglante de la Russie en Ukraine. Le cœur n’y est pas. Il reste bloqué à l’autre bout de l’Europe dans ce pays qui nous surprend et nous impressionne par son courage et sa détermination à préserver sa liberté. Si ces quelques jours de scroll infini sur les réseaux sociaux nous ont appris quelque chose, c’est bien la force du peuple ukrainien, son histoire si particulière et sa culture si singulière.
Au détour d’un post Instagram apparaît une toile que l’on ne reconnaît pas. La légende nous présente Viktor Zaretsky, considéré comme l’un des plus grands peintres ukrainiens du XXe siècle. Si ce nom ne nous dit rien, le travail pictural, les couleurs, les silhouettes, nous évoquent les caractéristiques si distinctives du père du symbolisme viennois, Gustav Klimt. En effet, on retrouve ce monde fantastique, vivant, lumineux, proche de celui de Klimt. Cependant, Zaretsky ajoute beaucoup de sa propre créativité. En particulier, des éléments du folklore ukrainien, des fonds composés de mosaïques de pierres précieuses ou de motifs floraux fantaisistes, ainsi que des figures féminines d’une beauté à couper le souffle. Princesses de rêves d’enfants ou reines égyptiennes, Zaretsky mêle dans ses modèles les traits des femmes de Diego Velazquez, des peintures mystiques des préraphaélites ou des tableaux de Gustav Klimt. Mais loin d’être de pâles copies, les toiles de Zaretsky sont les symboles d’un style ukrainien unique et indépendant, libéré des carcans du Réalisme socialiste, doctrine dans laquelle l’œuvre doit refléter et promouvoir les principes du communisme de type soviétique.
Viktor Zaretsky et sa femme Alla Horska, également peintre, font très tôt partie du mouvement dissident ukrainien Les “Sixtiers”. Aux côtés d’écrivains, de poètes, d'intellectuels et d’artistes, ils prônent le développement de la langue et de la culture ukrainienne et refusent que leurs œuvres servent les intérêts des autorités soviétiques. Au fil des années, le combat des “Sixtiers” se fait de plus en plus violent. Certains artistes sont déportés ou enfermés, d’autres sont physiquement attaqués. Zaretsky lui-même payera pour ses engagements et ses convictions lorsqu’en 1970, il perd son père et sa femme le même jour. Le père de Zaretsky aurait d'abord tué sa belle-fille, puis se serait suicidé en se jetant sous un train. Cependant, de nombreuses incohérences dans l'affaire indiquent qu'elle a été fabriquée de toutes pièces. La famille d’Alla Horska et son entourage étaient convaincus que son meurtre avait été perpétré par le KGB tout comme celui du père de Zaretsky.
Alors que le désespoir et la dépression étreignent l’artiste, ce dernier décide de se tourner vers la lumière. Sa peinture prend alors un nouveau tournant. Il met sur toile tous ses espoirs, tous ses rêves, tous ses désirs. Les couleurs se font de plus en plus riches, lumineuses, vivantes. Il peint toute cette vie qu’il n’a pas eu le temps de vivre avec ceux qu’il aime. Et petit à petit, ses toiles se rapprochent du travail de Gustav Klimt.
L’historienne d’art ukrainienne Olesya Avramenko, nous explique alors que Zaretsky ne voyait pas Klimt comme un “gourou”, comme un maître spirituel et artistique à absolument suivre et copier mais plutôt comme un compagnon de lutte et un collègue idéologique qui parvenait à des conclusions artistiques et à des réalisations similaires dans son travail. Zaretsky a vu en Klimt son propre alter ego, il a trouvé dans son œuvre la pleine expérimentation de quelque chose qu'il a cherché toute sa vie : la liberté de création sans limitations idéologiques.