Les photographies de Zanele Muholi sont peuplées de corps. Enlacés, nus, et pourtant pas sexualisés. La douceur transpire de ces clichés, de ces fragments de cuisses, d’abdomens dont on ne saurait souvent dire si ils sont ceux d’un homme ou d’une femme.
Née en 1972 en plein apartheid à Umlazi, un township de Durban en Afrique du Sud, Zanele Muholi se définit comme un.e “activiste visuel.le”, plutôt que comme un.e artiste ou un.e photographe. Lui.elle-même non-binaire et lesbienne, iel se consacre depuis 20 ans donner de la visibilité à la comunauté LGBTIQA+ noire et à documenter leur réalité dans l’intimité, l’espace public et dans des structures collectives. Pour la première rétrospective complète consacrée à Muholi en France, la Maison Européenne de la Photographie expose 200 de ses clichés.
Bien sûr, pour Muholie, le privé est politique, comme le scandaient déjà les féministes de la seconde vague dans les années 1960. Iel photographie sa communauté, dans un pays où elle est encore marginalisée. Bien que l’Afrique du Sud soit le premier pays à avoir interdit en 1996 toute forme de discrimination dont celles basées sur le genre et l’orientation sexuelle, l’homophobie et les crimes de haine sont encore courants et les personnes LGBTQIA+ noires victimes d’une double discrimination - en tant que minorités sexuelle au sein d’une minorité raciale.
Loin des stéréotypes et de l'hypersexualisation dont ielles sont souvent victimes, les étreintes de couples de même sexe sont sublimées dans des clichés à la composition léchée. On pense au livre captivant “Ils s’aiment” qui recense les images clandestines d’hommes amoureux pris dans différents endroits du monde entre 1850 et 1950. Chez Muholi, les peaux noires étincellent sur les draps blancs immaculés. L’activiste visuel.le pose un regard d’une tendresse infinie sur les relations et les corps de ses pairs - parfois maltraités, victimes de violence - comme s’iel voulait panser leurs blessures par l’objectif. Iel se réapproprie l’espace intérieur, parfois contraint par la violence, et le transforme en refuge.
Iel se réapproprie l’intime de la même façon que la communauté LGBTIQA + s’est tant de fois réappropriée et a sublimé les marges qu’on lui laissait ou les insultes. Zanele réutilise aussi les outils de répression et les transforme en attributs de beauté : les éponges métalliques qui blessaient les mains de sa mère employée de maison d’une famille blanche pendant 40 ans, les crayons que les agents du gouvernement mettaient dans les cheveux pour définir s’ils étaient crépus et pour classifier racialement la population pendant l’apartheid, les couvertures que l’on donnait aux opposants dans les prisons… Ces objets deviennent des coiffes, des parures sublimes sur le corps de Muholi, qui questionne son intersectionnalité de personne noire LGBTQIA+. Dans sa série Somnyama Ngonyama, signifiant “Saluez la lionne noire” dans sa langue maternelle le zoulou, iel augmente le contraste pour accentuer le noir de sa peau et l’intensité de son regard lancé à la caméra.
On retrouve ces regards soutenus dans les séries comme “Queering public space”, dans laquelle Muholi capture ses “participants” (comme elle appelle ses “sujets”) dans des espaces publics, ou dans la série “Faces and phases”. Tel.le un.e archiviste, Muholi y consigne les visages la communauté noire LGBTQIA + en Afrique du Sud depuis 2006 dans une galerie de portraits, en noir et blanc sur fond neutre, parfois accompagnés de témoignages filmés et écrits. En collectant les visages ou en photographiant les mariages et les enterrements des membres de sa communauté, l'œuvre de Muholi devient un sanctuaire dédié aux vies de ceux.elles qu’on essaye encore trop souvent d’effacer.