En découvrant l’exposition “Flyer and the Seed” de Megan Rooney, ceux qui ont eu le privilège de rendre visite aux Nymphéas de Monet à l’Orangerie auront une impression de déjà-vu pendant quelques instants. Au fond de la pièce principale, une toile bleutée de six mètres de long -dont on ne sait si elle nous évoque le ciel, l’eau, ou les deux, unis dans un reflet- nous donne envie d’y plonger et nous y rafraîchir. Les canevas de Rooney ont le pouvoir enveloppant et réconfortant de celles de son prédécesseur givernois.
Si Monet s’approchait au plus près du ruissellement de l’eau pour ne plus entendre le vacarme du monde déchiré par la Première Guerre mondiale, la canadienne Megan Rooney décide de le surplomber pour l’observer changer. Son atelier est perché au sommet d’un ancien hôpital au cœur de Londres d’où elle regarde la ville sous le ciel. Elle partage d’ailleurs Londres avec Monet mais aussi William Turner - deux captureurs de lumières et de couleurs. Ils ont fixé les nuances de la capitale anglaise, changeant au gré des heures du jour et des saisons.
« Mes peintures naissent de l’observation attentive du monde qui m’entoure. Je les considère comme une collaboration informelle entre mon corps, la ville et les conditions atmosphériques d’un jour donné », explique la peintre, sculptrice et performeuse de 38 ans. L’émeraude et le brun de la nature automnale en décomposition, les bleus glacials de l’hiver, la vitalité pêche, sauge et jaune pastel du printemps, et puis les ocres et rouges puissants de l’été ; Rooney capture l’essence des instants avec la couleur. Une couleur qu’elle accumule, superpose, laisse couler et projette avec des brosses, ses mains, ses bras. Parfois, elle la creuse avec une ponceuse pour révéler les couches et des mélanges de couleur jusque là inconnus.
Si Monet et Turner annonçaient l’abstraction, Rooney est en plein dedans. Pourtant, on croit parfois reconnaître une forme anthropomorphe, un oiseau, un soupçon de végétal, ou des câbles tranchant les toiles atmosphériques et brumeuses. Ils nous replongent à nouveau dans la toile, à la recherche d’une nouvelle histoire ou d’un nouveau détail.
Pour la peintre, chaque tableau est un récit. Déjà exposée à la fondation Louis Vuitton et au Palais de Tokyo, c’est la première fois que Rooney construit seule sa narration à Paris. De la même façon que son homonyme irlandaise -la romancière prodige de 32 ans Sally Rooney- capture sur le papier la complexité du sentiment amoureux et du désir des jeunes femmes au XXIe siècle, Megan Rooney cultive le female gaze. Pour que l’expérience sensorielle soit complète, elle choisit des toiles de 200 x 150 cm - selon l’artiste canadienne ; “l'envergure d'une femme moyenne”.
Elle nous raconte les moments vécus, avec les lignes qui strient les toiles - comme une entaille sur une écorce ou un gribouillage sur un banc pour dire “j’étais là”. Présentes sur toutes les toiles aussi différentes soient elles les unes des autres, les lignes dessinent aussi la continuité du temps, les changements et les saisons. Nous lisons également la discussion entre l’artiste et son œuvre. À la fin de sa création, elle décide parfois de lancer un défi à sa toile - avec une teinte jurant avec ses couleurs pour en voir ses limites ; du rouge vif sur de l’émeraude, du noir sur du rose pastel…. Elles dialoguent ensuite jusqu’à trouver un accord pour que rien ne puisse être ajouté ni enlevé.