Balade dans les passages entre nature et culture
Pour l’exposition Avant l’Orage, l’artiste dano-vietnamien Danh Vö a installé une structure monumentale sous la coupole de la Bourse du commerce. Dans l’entrelacement de bois transformé et brut, ce qui semble être un tronc s’avère être une sculpture de Vierge en y regardant de plus près.
La sculpture dialogue avec la fresque la surplombant, peinte par plusieurs artistes à la fin du XIXe siècle comme une ôde au capitalisme et au productivisme- à une époque où l’industrialisation et l’enrichissement de la France s’appuie sur des échanges économiques mondiaux et l’exploitation de son empire colonial. Aux quatres points cardinaux, une allégorie illustre différentes régions du monde ; au nord, les pays du froid représentés par un ours polaire ; au sud, l’Asie et l’Afrique et le lion ; à l’ouest, les Amériques et le cheval. Mais l’Europe et la France n’ont pas d’allégorie animale. Elles ne sont que science et progrès. Le bois coupé et le fruit de l’agriculture productiviste sont transportés sur des bateaux depuis les colonies aux quatres coins du monde.
Selon l’anthropologue Philippe Descola, la distinction entre culture et nature -entre l’humain et le sauvage donc- est à l’origine du capitalisme moderne et de l’exploitation effrénée de la nature. Dans “Par-delà nature et culture”, il questionne cette conception occidentale et la confronte à d’autres façons de penser les interactions entre l’humain et son environnement.
C’est inspirés par ce questionnement que les curateurs d’ “Avant l’orage” ont pioché dans la collection Pinault d’art contemporain pour créer ce parcours artistique dans l’ancien grenier à grains de Paris, devenu ensuite une grande place commerciale de l’Europe contemporaine.
Une installation sonore - des gouttes d’eau à l’infini - résonnent au début du parcours, comme un memento pressant de l’urgence à entreprendre cette réflexion avant l’orage - avant la catastrophe. Les œuvres de l’artiste vietnamienne installée à Paris Thu Van Tran sont teintées de cette inquiétude. La fresque “Les couleurs du gris” est composée de rose, d’orange, de vert, de bleu, de violet et de blanc - les couleurs des rainbow herbicides utilisés par l’armée états-unienne lors d’épandages destructueurs de la forêt pendant la guerre. L’artiste a superposé et laissé dégouliner les couleurs pour créer un marasme profond et mouvant - dans lequel on croit apercevoir un paysage de forêt à la fois sublime et angoissant, comme pris dans un orage toxique. L’artiste a également peint, à même le mur de l’institution symbole du faste colonial français, avec du caoutchouc - pour marquer d’une tâche le bâtiment de la prédation des pays occidentaux sur les pays colonisés, notamment par l’exploitation du caoutchouc en Asie et en Amérique du Sud.
L’installation de la coréenne Anicka Yi nous transporte dans un espace incertain ; une grotte ? un volcan ? un futur post-apocalyptique ? Des sculptures ovoïdes sont suspendues au-dessus de tâches grisâtres, comme des cratères. Des êtres mouvants contenus dans ces espèces de chrysalides semblent prêts à s’échapper à tout moment.
Robert Gober, lui, met l’humain face à sa propre nature. Au cœur d’une silhouette humaine, un embrasement carré dévoile un espace luxuriant, composé de pierres, de plantes et d’eau en mouvement. Des pièces plus philosophiques comme la sculpture de Robert Gober, aux pièces les plus minimalistes, “Avant l’orage” rééduque la perception. En plaçant des branches et des feuilles sur un socle, Steegman Mangrane nous oblige par exemple à voir la merveille de ces motifs complexes et nous invite à transporter le regard sacralisant et émerveillé, du musée vers le monde.
Avant l’orage, jusqu’au 11 septembre à la Bourse du Commerce.