Balade dans l’intimité de Basquiat et Warhol
Jean-Michel Basquiat croise Andy Warhol à quelques reprises dans le petit monde de l’art new-yorkais à partir de la fin des années 1970. Mais ce n’est qu’en 1982 qu’ils sont officiellement présentés par leur galeriste commun. Impressionné d’avoir rencontré son idôle, Basquiat peint le double portrait “Dos Cabezas” à l’issue de cette rencontre. Côte à côte, l’artiste émergent et le “Pape de la Pop” sont mis sur un pied d’égalité. Les cheveux coiffés en dreadlocks noires du “radiant child” débordent sur le visage de Warhol. Mais le visage de Basquiat est tracé avec des traits noirs grossiers. Alors que celui de son aîné, pensif, est dessiné avec soin, presque avec respect. Si différents, ils sont unis par des touches d’un bleu turquoise, électrique et puissant. La toile semble presque être prémonitoire de l’histoire que les deux hommes allaient vivre ensemble.
L’exposition “BASQUIAT X WARHOL, À QUATRE MAINS” présente des portraits croisés faits par les deux artistes -se scrutant, comme pour se décrypter l’un et l’autre- mais aussi une multitude d'œuvres réalisées en collaboration. Après leur rencontre, les artistes se lient d’amitié et visitent des expositions ensemble. En 1984, Warhol ouvre une nouvelle “Factory” - son studio de création - mais garde des locaux de l’ancienne en plein Manhattan. Ils s’y retrouvent quotidiennement pour peindre ensemble. Au départ, Basquiat modifie des tableaux commencés par Warhol mais le processus créatif se mue en véritable travail à quatre mains. Cette collaboration ramène Warhol à la peinture qu’il avait délaissée pendant plusieurs années pour la sérigraphie. Quand ils ne peignent pas en même temps, l’un commence un toile, laisse la place à l’autre et ils jouent avec l’alternance. Les artistes prennent goût à ce procédé presque surréaliste et le mettent en œuvre ponctuellement avec d’autres créateurs comme l’italien Francesco Clemente ou Keith Haring… C’est ainsi que les bébés à quatre pattes se retrouvent coiffés d’une couronne à trois pointes.
Basquiat et Warhol respectent et acceptent leurs visions du monde opposées. L’artiste-businessman appose des homards sur une toile, que le jeune afro-américain clairement anticapitaliste gribouille comme pour s’en moquer gentiment. Sur fond de logos géants de grandes marques comme dans la série General Electrics, la touche Basquiat teinte le travail de Warhol d’une profondeur critique et contestataire. Un an après les Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984, Warhol peint les anneaux colorés, au centre desquels Basquiat dessine un visage noir. Idem dans “China Paramount” - fresque représentant l’effervescence culturelle et économique des Etats-Unis dans la décennie 1980. Basquiat nous dit l’exclusion des afro-américains de cette croissance et le manque de représentation.
En deux ans de collaboration, les deux hommes réalisent 160 toiles. Ils décident d’en faire une exposition qui ouvre le 14 septembre 1985. Sur l’affiche de “Warhol/Basquiat : paintings”, ils apparaissent côte à côte habillés en vêtements de boxe. Pour l’exposition à la Fondation Louis Vuitton, le photographe Michael Halsband révèle des clichés inédits de la séance photo. Émouvants, ils transpirent de la tendresse entre les deux hommes. On y voit Basquiat, s’appuyer sur l’épaule de son aîné dans un fou rire. Ils sont ravis de l’exposition. Mais un critique qualifie Basquiat de “mascotte” de Warhol. Blessés par cette incompréhension, les artistes n’exposeront plus ensemble et collaborent de moins en moins, mais leur lien reste fort.
“Basquiat x Warhol, à quatre mains” se fait témoin de leur grande affection mutuelle. Sur les toiles monumentales, ils soulignent leurs points communs, comme les cicatrices sur leurs abdomens causés par la tentative d’assassinat de l’activiste féministe Valérie Solanas sur Warhol et l’accident de Basquiat, enfant, renversé par une voiture… Les deux événements ayant lieu la même année, en 1968. Bien que teinté de jalousie, leur lien est fait d’humour et de tendresse. Basquiat peint Warhol en banane jaune et après la fin de leur collaboration, Warhol entame des grandes toiles, qu’il laisse inachevées, dans l’attente de Basquiat. Après la mort soudaine de l'aîné en février 1987, le jeune artiste sombre dans une dépression dont il ne sortira pas avant sa mort, le 12 août 1988.
BASQUIAT × WARHOL, À QUATRE MAINS, jusqu’au 28 août 2023, à la Fondation Louis Vuitton.