Celui qui, avec “La Grande vague de Kanagawa”, est entré au Panthéon des images universelles et absolues de l’art -aux côtés de “La nuit étoilée” de Van Gogh, “La Joconde” de Léonard de Vinci, “Le baiser” de Klimt ou “La Naissance de Vénus” de Botticelli- a longtemps été perçu comme un peintre médiocre par ses pairs. “Hokusai” de Hajime Hashimoto balaie la vie de celui qui deviendrait l’icône mondial de l’estampe.
Katsushika Hokusai - incarné par Yûya Yagira, révélé par Kore-eda en 2004 dans “Nobody Knows” - naît dans une famille humble aux alentours de l’année 1760, à Edo, l’ancien nom de Tokyo. Il intègre très jeune une école de peintres ukiyo-e. De ce mouvement artistique, indissociable de l’avènement d’une bourgeoisie marchande dans les villes, on connaît la peinture mais aussi une profusion d’estampes - facilitant la commercialisation grâce à la reproduction. Les artistes empruntaient leurs sujets aux loisirs mondains ; les courtisanes, les scènes érotiques, le théâtre kabuki… C’est dans ces ateliers et auprès d’éditeurs qu’Hokusai fait ses armes, mais il est ostracisé à cause d’un caractère impétueux et d’un style peu conventionnel. Après une période de grande pauvreté, il trouve son style en se tournant vers une représentation animiste de la nature. L’artiste au dizaines de pseudonymes choisit finalement Hokusai - en hommage à une divinité bouddhiste qu’il admirait.
Plutôt qu’une narration suivie, le film est une série de tableaux, comme des arrêts sur image de la vie d’Hokusai. À défaut de détails biographiques, le réalisateur s’inspire de l’abondance de peintures, estampes et dessins laissés par l’artiste - allant parfois jusqu’à réinterpréter pour la caméra des oeuvres comme “Fuji rouge” ou “Vent soudain”. Le réalisateur joue avec l’esthétique de l’estampe ; une composition léchée, une colorimétrie impeccable, des ralentis exagérés ou des personnages haut en couleurs et expressifs tels des acteurs de kabuki.
Les décors et les costumes nous propulsent directement dans l’univers des estampes - des paysages bleutés aux courtisanes du quartier rouge d’Edo. Le long-métrage est également une fresque du Japon de l’époque - encore fermé au monde extérieur. Au début du XIXe siècle, le pays traverse une période de crise, avec une famine et des révoltes paysannes. En réponse, les shoguns Tokugawa tiennent le pays d’une main de fer, à coup de répression sanglante et de censure allant jusqu’à l’arrestation ou l’exécution d’artistes. C’est dans ce monde étroit qu’évoluent Hokusai et ses pairs. Les hollandais étant les seuls étrangers autorisés à résider au Japon - les artistes japonais ne connaissent que peu l’art occidental. Dans une scène magnifique du film, Juzaburo Tsutaya -ami d’Hokusai et éditeur d’estampes ukiyo-e- montre une sérigraphie d’un mappemonde, tel un trésor, à Hokusai. Au crépuscule de sa vie, le collectionneur d’art lui confie ses fantasmes de voyage et de découverte d’artistes exotiques.
Hokusai meurt en 1949, à presque 90 ans - quatre ans avant l’ouverture au monde du Japon, contraint par l’officier de marine états-unien Matthew Perry qui débarque dans la baie d’Edo avec des navires de guerre - sans savoir que ses oeuvrent allaient voyager et inspirer Claude Monet, Paul Gauguin ou Alfred Sisley.
Peintre passionné et obsessif, écrivain, illustrateur de livres annonciateurs des mangas - dans le film, Hokusai est aussi un époux et un père aimant et taciturne. Bien qu’elle aussi figure majeure de l’art ukiyo-e, sa fille Katsushika Ōi, est maintenue dans l’ombre de l’Histoire de l’art par son père… Elle a néanmoins eu droit à un biopic avant lui avec le film d’animation primé “Miss Hokusai” (2015).