Avec Maya Rochat, l'écorce des arbres, leurs racines, les motifs irréguliers de la roche et réguliers des fleurs deviennent des images abstraites, oniriques, psychédéliques, presque cosmiques. Bien qu’exposé à la Maison Européenne de la Photographie, le travail de la Suissesse née en 1985 déborde largement ce médium. Certes, les photographies sont à la base de son travail. Mais l’artiste commence dès ses études à les détourner, les superposer, les recycler, les lacérer ou les recouvrir à la bombe de peinture. Après une enfance au milieu d'une forêt, elle découvre la ville lors de ses études à Lausanne et Hambourg. Cette nouvelle proximité avec la société néo-libérale et ses déboires la rapprochent de cercles activistes féministes, écologistes, anti-capitalistes… Déjà, l’esthétique punk se mêle aux motifs naturels qui ne la quittent plus.
Plus de dix ans après le début de sa carrière, Maya Rochat -plasticienne, vidéaste, peintre, performeuse, créatrice d’installations…- continue d’expérimenter. Elle retouche numériquement les couleurs, superpose physiquement les photographies, découpe les surfaces d’impression pour créer du relief. La photographie déborde du cadre traditionnel. Les supports métallisés d’impression, nervurés par l’artiste, reflètent la lumière sur le sol. Avec des projections d’images mouvantes par-dessus les tirages, l’exposition mime certaines performances de l’artiste où elle peint directement sur le projecteur - refusant l’auctorialité totale et laissant l'œuvre se créer elle-même, comme une nature qui reprend ses droits.
Maya Rochat guide nos pas dans une symphonie de motifs communs, traversant le monde géologique et organique. Elle fait dialoguer les rainures du bois avec celles de la roche, et les veines des feuilles, avec les tâches sur la lamelle d’un télescope ou les dessins d’une rivière qui creuse son chemin dans la pierre - comme si elle essayait de décoder un langage sous-jacent. L’infiniment grand et l’infiniment petit se mêlent jusqu’à se confondre.
Maya Rochat nous rappelle que nous faisons partie de ce tout, en nous immergeant dans des installations où ses images s’emparent du sol, des murs et du plafond. Nos propres corps activent et transforment les images reproduites sur des papiers holographiques, scintillants ou lenticulaires - comme les illustrations cartonnées de l’enfance qui dévoilent une autre image lorsqu’on les fait bouger. Elle interroge notre rôle au sein de cette nature et dans ses transformations. À coup de peinture criarde sur les tirages ou de javel sur les négatifs, elle dénonce un monde post-industriel - où les substances chimiques sont indissociables du vivant.
Mais elle refuse le récit catastrophique d’un monde en crise et violent, et cherche plutôt des stratégies visuelles pour le réenchanter. Elle crée des refuges, des images captivantes qui nous aspirent, et nous obligent à les observer avec attention et admiration. Par les altérations des images du réel, Maya Rochat nous ouvre les portes d’un autre univers - un monde magique et enveloppant, qui ressemble à s’y méprendre au nôtre et auquel nous pourrions aspirer.
Maya Rochat — Poetry of the Earth, à la Maison Européenne de la Photographie, jusqu’au 1er octobre 2023