Beaucoup de métropolitains du monde ont déjà peut-être accordé un instant de leur attention aux espaces d’affichage dans le métro, au papier déchiré, parfois superposé en couches multicolores presque géologiques… Mais là plupart du temps, nous passons à côté sans y prêter garde. Han Bing, artiste née en 1986 dans le Shandong en Chine, s’en empare : “J'ai toujours été très attirée par la fragilité et l'éphémérité de certaines compositions que je rencontre dans les rues, elles sont là, disponibles et invisibles pour certains mais au moment où je les découvre, elles sont à moi.”
Après une enfance rythmée par de multiples déménagements et des résidences à Shanghai, New York ou Los Angeles, Han Bing -parisienne depuis un peu plus d’un an- a l’habitude de déambuler dans les villes. Elle observe ces affiches qu’on voit sans regarder et les photographie avec son téléphone portable. Elle en reproduit certains morceaux sur des toiles de 1,5 x 2 mètres. Sur ces formats évoquant les panneaux publicitaires, on voit parfois apparaître des figures identifiables comme Mickey Mouse, mais ils sont vidés de leur fonction commerciale.
Il ne reste de ces affiches que des fragments de ville : des balcons d’opéra, un bout de patin à roulettes ou de skate board, qu’on croit identifier avec précision avant qu’ils ne soient à nouveau pris dans cette décomposition vibrante. Han Bing conserve l’esthétique de la déchirure et du décollement en se défaisant du papier pour n’en garder que l’effet visuel - au point devenir peut-être un assemblage esthétique de couleurs et de formes.
Pourtant, c’est bien le monde et ses villes qu’Han Bing continue de regarder et de nous livrer. ”En tant qu’artiste, je me sens étrangère au monde. Comme si j’étais à l’extrémité du tissu social”, explique-t-elle. Elle l’observe et en absorbe les couleurs. Ses toiles se teintent d’ailleurs de gris depuis qu'elle vit à Paris. Elle peint parfois directement sur les supports que lui offre la ville comme dans sa série sur papier journal. Elle appose des abstractions colorées sur des feuillets du New York Times, une façon peut-être de digérer le réel tout en sauvegardant l’éphémérité d’un journal quotidien, comme elle préserve les motifs aléatoires des affiches de métro.
L’artiste nous montre des dimensions insoupçonnées de notre réel via les aplats de couleurs vibrantes : orange, rouge, bleu électrique, violet profond… Elle tisse de nouveaux liens, fait dialoguer les couleurs et les motifs repérés au cours de ses pérégrinations. Han Bing immortalise la ville dans ses insignifiances mais peut-être aussi le rythme de notre époque, la frénésie des images et la métamorphose constante de nos espaces de vie.
Han Bing - Got Heart - Galerie Thaddaeus Ropac Paris Marais 7 rue Debelleyme, jusqu’au 7 octobre