Les 100 ans du Surréalisme

Alice au Pays des Merveilles

L'une des grandes vedettes de cette exposition est René Magritte, dont l’œuvre a marqué profondément l’imaginaire collectif. Ses tableaux, souvent dominés par un jeu subtil entre le réel et l’illusion, invitent à remettre en question notre perception du monde. Magritte, qui a souvent fusionné des objets ordinaires dans des contextes inhabituels, bouleverse le spectateur avec des œuvres comme Le Fils de l'Homme ou Les Amants. Ses toiles surréalistes interrogent l’identité et la réalité de manière ludique mais philosophique, avec une clarté dérangeante et énigmatique. Au Centre Pompidou, on retrouve certaines de ses œuvres et notamment Alice au Pays des Merveilles (1946). Cette œuvre reflète son goût pour le détournement visuel et conceptuel : les objets se métamorphosent, et le familier devient étrange, forçant le spectateur à interroger ce qu’il voit. Ce jeu de trompe-l’œil, caractéristique de son style, est magnifié dans cette peinture qui captive par son mystère. La figure d’Alice, dans un monde en constante transformation, résonne avec les thèmes chers au surréalisme : l’imaginaire, l’inconscient et l’absurde.

Giorgio de Chirico, souvent considéré comme un précurseur du mouvement, est également mis à l'honneur. Son œuvre, à la croisée du surréalisme et de l’école métaphysique, est reconnue pour ses paysages urbains dépeuplés et énigmatiques, peuplés de statues antiques et d’ombres inquiétantes. Des peintures telles que Le Chant d'Amour ou Mystère et Mélancolie d'une rue exposent son utilisation de la perspective pour créer un sentiment de mystère et de dépaysement. De Chirico a influencé nombre de surréalistes, notamment par sa capacité à évoquer l’étrangeté du quotidien et à susciter un sentiment d'étrangeté dans des scènes apparemment ordinaires. Dans l’exposition il s’illustre avec Portrait [prémonitoire] de Guillaume Apollinaire (1914). Cette œuvre, créée à la veille de la Première Guerre mondiale, est souvent perçue comme une anticipation du destin tragique du poète, blessé au combat et portant un bandeau sur l’œil. La figure d’Apollinaire, omniprésente dans la vie artistique de l’époque et grand soutien du surréalisme, est représentée avec des formes géométriques rigides, baignant dans une atmosphère métaphysique. Ce portrait prémonitoire renforce le mystère de l'œuvre, dans lequel de Chirico mêle habilement le réel et l'imaginaire, un thème central de l'exposition.

 Portrait [prémonitoire] de Guillaume Apollinaire
29 rue d'Astorg
Parmi les artistes féminines mises à l'honneur, Dora Maar occupe une place de choix. Longtemps restée dans l'ombre de sa relation avec Pablo Picasso, Maar est aujourd’hui reconnue pour son œuvre personnelle, notamment dans le domaine de la photographie. Elle a contribué à donner au surréalisme un visage plus engagé, en se concentrant sur la condition humaine et la complexité psychologique des êtres. Ses photomontages et ses portraits surréalistes, souvent marqués par un sentiment de désorientation, explorent l’ambivalence entre réalité et rêve, tout en y ajoutant une dimension féministe. Sa série de portraits distordus, tels que ceux de 29 rue d'Astorg, fait partie des pièces présentées, soulignant l’importance de sa contribution au mouvement, tout en réévaluant son rôle dans l’histoire de l’art.

Au-delà de Magritte, de Chirico et Maar, l’exposition revisite la pluralité des formes du surréalisme, offrant un panorama complet des explorations artistiques qui ont ébranlé les codes traditionnels de l’art au XXe siècle. En intégrant des œuvres féminines et internationales, l’exposition souligne le rôle central des femmes et des artistes exilés, souvent invisibilisés par l’histoire officielle du surréalisme, comme Remedios Varo et Leonora Carrington​. En rendant hommage à ces grandes figures, le Centre Pompidou offre une plongée fascinante dans l'univers complexe et déroutant du surréalisme, un mouvement qui, cent ans après sa naissance, continue de captiver et de provoquer.