L'oeuvre de la peintre du XXe siècle Tarsila do Amaral, qui s'est inspirée de sources aussi variées que l'itération cubiste de Fernand Léger et le mouvement du réalisme social, est synonyme de modernisme brésilien. Célébrée par les cercles artistiques les plus estimés de son époque, Amaral - souvent appelée simplement Tarsila - gagne en popularité auprès d'un public contemporain et international grâce à des expositions telles que Tarsila do Amaral : Peindre le Brésil Moderne, présentée jusqu'au 2 février 2025 au Musée du Luxembourg à Paris. La dénonciation par Tarsila de l'eurocentrisme dans les arts et son approche radicale de la fusion des styles semblent trouver un écho auprès du public moderne, comme en témoigne l'énorme succès de l'exposition du MoMA de 2018 intitulée Tarsila do Amaral : Inventer l'art moderne au Brésil. L'exposition du Musée du Luxembourg poursuit cette conversation sur l'héritage de la peintre, en rassemblant plus de 150 oeuvres couvrant sa longue carrière. C'est la première fois qu'une rétrospective de l'oeuvre de Tarsila est présentée dans un grand musée français et c'est un témoignage frappant de l'évolution de l'oeuvre de l'artiste, tant en termes de style que de sujet.
Née dans une famille aisée de São Paulo, Tarsila a fait ses classes à Paris auprès des pionniers du cubisme. Son flair particulier, caractérisé par des couleurs vives, des formes arrondies et des finitions lisses, est le fruit d'une pollinisation culturelle croisée, puisqu'elle a passé une grande partie de sa carrière à alterner entre les centres de production artistique brésiliens et européens. La question de l'honneur et de la formation de l'identité brésilienne était de la plus haute importance pour l'artiste, et son rôle central dans son travail est mis en évidence par Tarsila do Amaral : Peindre le Brésil Moderne. Tarsila est peut-être plus connue pour sa participation au mouvement anthropophagique, conçu dans les années 1920 et repris par des artistes et des intellectuels dans les années 1970. Dans le contexte de la culture brésilienne, le terme anthropophage a été inventé par Oswald de Andrade dans son manifeste Pau-Brasil pour signifier la « cannibalisation » d'autres cultures comme moyen d'établir l'identité nationale brésilienne et de combattre le colonialisme européen. Des influences disparates, allant des traditions artistiques indigènes du Brésil rural au surréalisme espagnol moderne, convergent sur la toile pour former un vocabulaire propre à Tarsila. Ses premières peintures représentent souvent des paysages de rêve, des corps humains défamiliarisés et des motifs naturels exagérés inspirés des régions rurales et verdoyantes de son pays d'origine. Dans la seconde moitié de sa carrière, après avoir découvert la peinture réaliste socialiste en Union soviétique et s'être engagée dans des causes de gauche, son travail a pris une inflexion politique ; elle s'est beaucoup intéressée aux luttes des migrants, des travailleurs et des populations les plus opprimées du Brésil, dépeignant leur vie quotidienne dans un style précis et sobre.
À première vue, les travailleurs sombres et les cheminées sinistres présents dans ses peintures de la maturité semblent s'écarter nettement de l'imagerie végétale et luxuriante qui caractérisait ses oeuvres antérieures. Mais l'élan qui a présidé à leur représentation est analogue : Tarsila a cherché à amplifier la conscience populaire et les traditions folkloriques du Brésil, et à rendre manifeste sur la toile la convergence des styles et des cultures qui a accompagné la modernisation rapide. On se souvient d'elle à. la fois comme d'une championne des symboles et pratiques indigènes souvent négligés qui font partie intégrante de la culture brésilienne et comme d'une peintre innovante et techniquement sophistiquée. Avec Tarsila do Amaral : Peindre le Brésil Moderne, le Musée du Luxembourg lui rend hommage.