Découvrez la dernière exposition personnelle de Natalia Jaime-Cortez, à Metz, en décembre 2018.
Inévitablement, pour illustrer pédagogiquement ce qu’est une giornata, on a recours à la célèbre fresque Adam et Eve chassés du Paradis de Masaccio : on distingue nettement un halo de teintes différentes qui sépare le couple et indique qu’ils n’ont pas été peints le même jour. Pourtant, à lire la Genèse, l’unité de temps paraît une réelle nécessité : « Il y eut un soir, il y eut un matin », scande le texte. En fresque aussi, ces détails temporels ont de l’importance : toutefois, à l’inverse, il y a d’abord un matin, puis un soir, et il faut se dépêcher non pas parce que le jour baisse, mais parce que l’enduit sèche.
Natalia Jaime-Cortez n’est pas fresquiste, mais elle s’est récemment formée à cet art lent et patient, qui à bien des égards ne cesse de renvoyer à sa pratique personnelle. Il y est question de carbonatation, cet emprisonnement des pigments dans la surface du mur, elle qui à l’inverse use de pigments purs et volatiles. Toutefois, dans les deux cas, une certaine minéralité affleure : ce n’est pas pour rien qu’elle a travaillé auparavant avec de la poudre de marbre, ou que ses dessins apparaissent souvent crayeux et sédimentaires. Par ailleurs, et même si le procédé est moins visible, elle a fait du modèle de la journée un principe fondateur de ses dernières œuvres. Ses dessins ont souvent des temps de maturation longs : durant des mois voire des années, ses papiers sont remisés, recouverts de pigments, lavés, pliés et dépliés, accrochés ou entreposés. Mais le geste du dessin, lui, s’effectue dans la rapidité d’une seule et unique journée.
Une journée : dépôt d’un ensemble de 71 papiers soigneusement pliés dans des marais salants, à Guérande. Une autre journée : tracer les cadres colorés et vibrants des œuvres de sa série intitulée La Ronde. Une autre, encore : accumuler les traces de pastel sec sur une douzaine de feuilles de papier, un trait par dessus un autre, encore et encore, jusqu’à ce que le papier s’étoile en légers résidus colorés.
Il y a, dans la série d’œuvres proposées par Natalia Jaime-Cortez pour cette exposition, un grand écart entre la nervosité et la vivacité de la giornata et la coagulation de la carbonatation. Les titres viennent rappeler ces discordances : la pâleur et la légèreté des dessins de La Ronde pourraient évoquer des linges flottant au vent, mais leur titre suggère une griserie rythmée. On dit que la plus ancienne représentation de danse collective connue, gravée sur les parois de la grotte de l’Addaura (Sicile), dans laquelle les corps s’enchevêtrent avec grâce, figure justement une ronde. Et que penser de Solarium, courte vidéo où deux jeunes femmes, vêtues comme des touristes – lunettes de soleil, chapeaux de paille, robes légères, sandales… – s’allongent côte à côte sur de grandes pierres blanches ? S’agit-il, comme le titre semble le laisser entendre, d’un anodin bain de soleil, ou d’un rituel plus funèbre et intimiste ?
Ainsi, à première vue, tout fuit et se transforme : le pastel se disperse en poussières chatoyantes, le sel des cristallisoirs s’éparpille en brillances irrégulières, et dans la carrière de pierre, ce sont les fragments inutilisés qui attirent son attention. Il ne faudrait toutefois pas voir là l’éloge d’une disparition mortifère : voilà l’artiste, dans La carrière, qui réapparaît et achève son ascension après s’être évaporée quelque temps derrière la ruine. Car Natalia Jaime-Cortez n’a pas l’âme d’une conquérante, qui viendrait prendre d’assaut le tas de pierre, voire même la feuille ou les pigments trop volatils pour être si aisément apprivoisés. C’est, bien davantage, une tentative de réconciliation : le toucher comme une étreinte discrète.
Camille Paulhan, commissaire de'exposition