" On n’entre pas à l’intérieur de l’autre comme on voudrait. C’est ce que disent les corps sans-visage de Juliette Lemontey. Dans sa non réflexivité, le sans-visage se situe hors des rapports sociaux, l’oblitération délibérée du visage l’éloignant de sa relation à l’autre. Le recouvrement des orifices par la peau montre l’envers d’un rêve de fusion des corps et le visage, muré et lisse, est une mise en garde contre quiconque tenterait de l’atteindre. Traduction possible de ce à quoi ressemblerait la prosopagnosie, le trouble de l’identification des visages ? Ou ouverture du moment à celles et ceux qui y retrouveraient un quelque chose de familier ? Car, dans le même temps que s’opère une neutralisation de l’identité personnelle, celle-ci est remplacée par l’identique et le récit commun. Dénué de stigmates, le visage devient une surface de projection, une toile de fond où déferlent les images. S’y pressent les souvenirs de quelque chose de très lent et silencieux qui appartiennent à tous et à toutes : amour de vacances, réunion familiale, sortie d’école, autant de souvenirs anonymes de corps évanouis près de s’abîmer dans le temps. L’histoire se répète, en permanence. Nos gènes charrient nos émotions, nos expériences et nos traumatismes et, en ce sens, une vie peut perdurer après l’oubli. Ce qui n’est pas sans engager la nostalgie. Les fragments de corps marquent l’absence et une incomplétude poétique qu’avaient très bien compris les romantiques allemands avec les ruines."
Elora Weil-Engerer
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