Livre photos présentant toute la série des Reflets, réalisée à partir de fragments de polaroids par l'artiste photographe Thomas Dhellemmes.
Il aurait pu les conserver, les garder intacts, lisses comme de faux souvenirs, les habiller d’une date et d’un lieu, de repères objectifs. Ol aurait pu les exposes tels quels, ces polaroids, comme des fragments cadrés encadrés, des instants crus ou fuyants, des atmosphères attrapées au vol, des moments capturés en courant en oubliant, des paysages retranscrits. Il aurait pu ne pas douter, chercher encore une âme et la sais, prétendre donner sa vision du monde, son opinion, sa perspective. Mais Thomas Dhellemmes n’est pas dupe. Ce qu’il montre, il ne l’a pas conquis, ce n’est pas un tableau de chasse photographique. Il laisse le monde se dépêcher sans lui, se raconter des histoires, se disputer la vérité comme un os. Ce qu’il sait, lui, c’est ce dont il se souvient. Ce qui demeure, c’est sa mémoire qui l’a recomposé, ce qui existe, c’est ce qui trouve son reflet dans la mémoire. Un reflet dont l’impossible exactitude fait la beauté, une fuite, une ligne de lumière, comme une crête, sur le dos rond et noir du temps. Thomas Dhellemmes ralentit le mouvement du réel pour l’hypnotiser, le laisser divaguer, glisser vers une zone où les plans basculent, où les hierarchies se renversent, où les logiques s’estompent. Dans le sommeil volontaire, le relâchement, les associations inconscientes s’opèrent, des fragments de souvenirs s’amalgament, des moments se superposent. Processus créatif, la mémoire dépèce et reconstitue, fait ses choix, transforme, dilate l’insignifiance, insulte l’importance, se joue de tous les plans: des patineurs deviennent plongeurs, des immeubles récifs, des nuages écume, un palmier mât. Comme le ciel est déjà tombé, que le cadran s’est cassé à force de s’affoler, tout est soluble dans le songe. La mémoire ébrèche l’instant, la mémoire défigure, mais sa fiction a le mérite de la sincérité et de la disparité. Ses couleurs trop denses ou passées, ses ruptures, ses cahots, sa tête à l’envers, ses distorsions, chaque collage confié au hasard de la mémoire ne représente rien, mais reflète, offre sa matérialité, non à une image projetée et parfaite, mais à son possible reflet déformant. Et son goût de rêve et d’aube.
Sophie Blandinières
$ 100