"Un homme peint. C’est-à-dire qu’il voue sa vie à la peinture au point que la peinture devienne sa vie: Une aventure existentielle, une manière de cheminer dans l’espace et le temps. Ses tableaux sont des traces et des bornes : ce qu’il engendre et laisse, pour nous qui regardons, tout au long de son cheminement. Un homme chemine à la façon de quelqu’un qui jouerait là sa vie. La mise en jeu est totale car c’est lui même qu’il engage. C’est une affaire de destin : de direction prise, mais aussi de trajet, de volonté et d’errance, de détours et de ligne droite, de risque de se perdre et de joie de se perdre, quelquefois, lorsque l’égarement le sauve des sentiers trop droit. Cet homme aime jouer au risque de perdre. Il aime la règle qui l’oblige, telle une contrainte fructueuse, une manière de renoncer à l’autorité du peintre pour laisser le hasard choisir pour lui. Peintre il sait que l’habitude, la routine, sont de mauvaises conseillères qui vous ramènent malgré vous à ce que vous ne savez que trop, là où il veut affronter ce qu’il ne sait pas.
Ce peintre voyageur a commencé par arpenter le paysage afin d’être en mesure de le peindre. Chemin faisant, ce paysage de hasard et de sentiers inconnus est devenu son lieu. Tout voyage finit par devenir voyage intérieur. Le tableau est un pays sans fin, une vie ne suffirait pas à en explorer bords et débordas, plis et replis, formes et contreformes… Peindre c’est persister, venir et revenir, fouiller tout en donnant forme, à l’infini. L’œuvre de ce peintre se déploie en séries, comme autant de stations qui sont autant de métamorphoses du même, autant de façons de mettre l’œuvre au travail : de faire surgir ce qu’elle montre et ce qu’elle cache, ce qu’elle contient et ce qu’elle libère, cette beauté tantôt tenue tantôt surgissante, telle une pulsion vitale imposant enfin son règne.
Ce peintre est comme un physicien en actes : un homme qui éprouve la forme, la texture et la pesanteur du monde, par la peinture en tant qu’action. Son art est expérimental, concret, et incarné. Son travail, à mesure qu’il chemine et dépasse le jeu de la règle et du pas de côté, est de plus en plus libre : non pas affranchi de ses propres règles, mais saisi par la jouissance de peindre. Peindre est un chemin et un acte : une expérience vécue, c’est-à-dire éprouvée.
L’artiste engendre l’œuvre, l’œuvre façonne l’artiste.
Celui-ci se nomme Frédéric Heurlier Cimolaï."
Texte de Pierre Wat, historien de l’art, critique d’art et professeur d’histoire de l’art à l’université Panthéon-Sorbonne.
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