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La force de la peinture, du moins quand le peintre s’appelle Nicolas de Staël, c’est sa capacité à suggérer. Pas à montrer, à suggérer. Quelle différence il y a t-il entre ces deux mots et en quoi la suggestion est elle une force plus que la capacité à montrer.
La réponse est dans ce tableau. Il s’appelle « Agrigente » et il suffit de prononcer ce mot « Agrigente », en ce tenant devant cette toile, pour l’entendre. D’un coté, et c’est le pouvoir des mots, le surgissement du souvenir de cette ville du sud de la Sicile, avec sa vallée de temples antiques. De l’autre, ce tableau, qui ne ressemble pas à ce que ce mot évoque, mais qui ouvre sur autre chose. Quelque chose de plus personnel qui est de l’ordre de la sensation intime, plutôt que des images et du souvenir collectif.
Alors oublions un instant le titre, pour regarder le tableau sans tenter d’y reconnaitre quelque chose. On dirait un paysage, parce que Staël fait en sorte que l’on puisse se dire cela. Dans sa toile, il a placé quelques éléments qui sont autant de points de repères pour ceux qui ont l’habitude de regarder de la peinture figurative. Suffisamment d’éléments pour que nous ne soyons pas complètement déroutés, assez peu pour que nous ne soyons pas emprisonnés. La suggestion n’est jamais la contrainte.
Il y a donc, une ligne d’horizon, à mi-hauteur, il y a donc, c’est ce que cette simple ligne nous permet de déduire, c’est à dire de commencer à rêver mentalement plutôt qu’à reconnaitre concrètement. Il y a donc un ciel, une terre et puis sans doute la mer, qui se niche dans cette encoche noir, à droite bordée d’un bleu obscur. Et puis il y a autre chose encore, rien de bien précis, mais plutôt une sorte d’écho, suffisamment présent pour nous rappeler ce que nous avons tous appris des règles de la perspective et comment le dire autrement, de leur pouvoir de suggestion. Des traits, donc, des traits plus ou moins droits, qui convergent, obliquement vers un point, lequel se trouve presque au centre géométrique de la toile, très légèrement décalé à gauche, on appelle ça le point de fuite. Là haut se tient ce faux carré rouge, qui attire terriblement notre regard, parce qu’il est rouge, parce qu’il est presque carré et contraste avec les autres formes, parce qu’il est au centre de ce faisceau de ligne qui semble conduire vers lui. Il y a donc de l’espace, ou du moins sa suggestion. Quelques éléments qui font penser à, et nous laisse imaginer le reste. Suggérer, donner à éprouver, sans avoir besoin de montrer.
Qui peut faire ça à part un peintre ? J’ai dis que cette peinture faisait allusion aux éléments, sans doute mais ces éléments sont bien étranges, comme on en rencontre dans la peinture plus souvent que dans la nature. Le ciel, si c’est un ciel, est vert, la terre est jaune, rose, violette; Et puis il y a ces petites formes, plus ou moins géométriques, rouges, qui viennent ponctuer la toile et donne le sentiment que ce qui est là est de l’ordre du construis. Suggérer, on le voit, c’est se tenir à la lisière, là ou formes et couleurs n’imitent pas mais font naitre une sensation.
Nicolas de Staël qui a commencé à se faire connaitre comme peintre abstrait à la fin des années 40, ce qui correspond à la tendance dominante de la peinture en France dans l’après guerre, va peu à peu, s’éloigner de l’abstraction, sans jamais la quitter tout à fait. Critiquant ceux qu’il appelle le Gang de l’Abstraction Avant, en référence comique au fameux Gang des Tractions Avant, il se déplace, ailleurs, là où il peut être libre, ni enfermé dans l’abstraction, ni prisonnier d’une figuration qui s’assignerai le devoir de ressembler au réel.
Cette façon de se déplacer, de garder ses distances tout en se rapprochant quand même est au coeur de ce tableau. Nicolas de Staël est allé en Sicile à l’été 1953, il venait de s’installer en Provence à Lagnes. A peine posé, cet homme qui aura une vie si brève, repart. Il a acheté un camionnette, qu’il aménage dans laquelle il met sa femme, ses enfants et puis une amie, Jeanne qui deviendra bientôt son amante. Ils verront Palerme, Sélinonte, Agrigente, Catane et Taormine. En Sicile, Staël ne peint pas, il dessine et il nage, c’est en Provence ensuite seulement qu’il peindra ses tableaux siciliens, où se mêlent souvenirs de paysage et amour chaotique. A un critique en 1950, il disait déjà : « On ne peint jamais ce qu’on voit, on croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu. »
Alors ce tableau, c’est le coup reçu de quoi?
De cette Sicile antique qui à laissé son empreinte sous l’allure de formes rouges saisies dans l’étendue d’un paysage de bords de mer ?
De cette Provence dont le soleil implacable teinte la terre de jaune et d’ombres mauves ?
Ou de cette amour fou pour une femme, Jeanne, ultime amour avant la mort à Antibes, qui donne à cette toile, dans ses parties les plus abstraites quelque chose d’incroyablement charnelle. Regardez ce ciel griffé, regardez ces empattements de jaune, est-ce que ca n’est pas ce que l’on nomme la présence, est ce que ce n’est pas ça surtout qui fait la force de la suggestion? Cette capacité à nous faire imaginer tant de formes, à nous faire rêver tant d’histoires, à nous faire éprouver tant de texture du mondes chacun à notre façon, librement.